Il est un contentieux assez usuel et commun en droit commercial qui est celui de « l’ex » dirigeant d’une société admise au bénéfice d’une procédure de liquidation judiciaire, qui se trouve soudainement poursuivi par sa banque en remboursement du solde du prêt souscrit par sa société… impécunieuse.
Par définition, puisqu’il y a liquidation judiciaire, la société est en état de cessation des paiements et aucun redressement n’est envisageable. Dans la plupart des cas, le peu d’actifs dont elle dispose ne servira pas au remboursement du prêt. Bien démunie, la banque n’aura donc plus que « ses yeux » pour pleurer.
Fort heureusement, celle-ci avait conditionné l’octroi du prêt à la souscription d’un cautionnement sur la tête du dirigeant devenu impécunieux (s’il ne l’était pas déjà avant). Une fois prononcé le jugement d’ouverture de la procédure de liquidation judiciaire, la banque va donc s’empresser d’adresser un courrier circonstancié au dirigeant caution, lui réclamant, dans la limite maximale de son engagement, le montant du prêt restant à rembourser.
Bien entendu le dirigeant n’a pas les moyens de s’acquitter de sa dette.
Alors que faire ?
Mille et une chose selon les nombreux articles que vous trouverez aisément sur tel ou tel moteur de recherche. Mais en ce qui concerne nos "astuces", Google "ne sera pas votre ami". On vous livre ici deux méthodes "maison", approuvées par des jurisprudences "maison", que vous ne trouverez pas ailleurs.
Commençons par la première :
l’absence de personnalité morale de la société
Lisez votre contrat !
Un peu de contexte tout d’abord.
Il n’est pas rare que les prêts bancaires soient souscrits un peu trop rapidement par un client impatient d’acquérir son fonds de commerce ou de démarrer une nouvelle activité.
Le banquier est également impatient d’aider son client (on peut l’imaginer!). Dans l’ordre des choses: le rendez vous bancaire a le plus souvent lieu avant le rendez vous comptable, puis, le cas échéant, le rendez-vous juridique. Le client est plus pressé de souscrire son emprunt que de payer l’avocat qui lui rédigera les statuts. Il vient donc au rendez-vous bancaire avec (uniquement) un projet de statut. La société n’est pas encore immatriculée mais le nécessaire a été fait, elle le sera donc bientôt.
Par ailleurs, il faut aller vite ! Il arrive donc (parfois) que les banques souscrivent des prêts sans se soucier de savoir si la société est ou non immatriculée. Bien mal leur en prend.
Un peu de droit pour mieux le comprendre.
L’article 1128 du Code civil pose trois conditions à la validité d’un contrat :
- le consentement des parties;
- leur capacité de contracter;
- un contenu licite et certain.
En droit : une société n’acquiert la « capacité de contracter » qu’à compter du moment où elle est dotée de la personnalité morale, c’est à dire, selon l’article 1842 du même Code « à compter de leur immatriculation » au registre du commerce et des sociétés (RCS). Lorsque le banquier vous fait souscrire un prêt pour votre société, celui-ci doit s’assurer de son existence: il doit ainsi vous demander de lui fournir un extrait Kbis de cette société.
S’il ne le fait pas, il prend le risque que le contrat soit en réalité souscrit avec une société non immatriculée, donc non existante.
Si tel est le cas, la Cour de cassation considère que ce contrat est nul, de nullité absolue. (Cass. 3ème civ., 5 oct. 2011, n°09-70571; Cass. com., 13 déc. 2005, n° 03-19429) Elle ajoute que « rien ne peut sauver l’acte de la nullité : ni confirmation, ni ratification ». (Cass. 3ème civ., 5 oct. 2011, n°09-70571; Cass. com., 21 févr. 2012, n° 10-27630)
Il s’agit d’une jurisprudence constante à laquelle il n’a jamais été dérogé. (Cass. com., 21 févr. 2012, n°10-27630; Cass. 3ème civ., 5 oct. 2011, n°09-70571 ; Cass. com., 13 nov. 2013, n°12-26158; Cass. com. 18 déc. 1990, n°89-14210; Cass. 3ème civ., 28 oct. 1992, n°90-16388)
Certains vous diront que le contrat de prêt peut mentionner que la société est « en cours d’enregistrement » ou « en cours de formation » de sorte qu’il est en réalité valable et peut être repris lors de la première assemblée générale.
Ils n’auront pas toujours tort, tout dépend :
- si le contrat mentionne, qu’il est souscrit par Monsieur X, agissant « pour le compte de la société en cours de formation« , alors l’acte est valable sous réserve de règles particulières dont nous ne discuterons pas ici ;
- en revanche, si le contrat indique qu’il est souscrit par la société « en cours d’enregistrement » ou « en cours de formation » alors l’acte est entachée d’une nullité absolue. La mention de ce que la société « en cours de formation » est représentée par son associé ne le rend pas plus valable, la représentation impliquant un contrat de mandat lui même nul pour avoir été souscrit avec une société… non immatriculée donc inexistante. (Cass. com., 13 nov. 2013, n° 12-26158)
S’agissant d’une nullité absolue, celle-ci ne peut être reprise ou couverte y compris par un commencement d’exécution.(Cass. com., 13 déc. 2005, n° 03-19429) En clair, rien ne peut sauver l’acte. Mais qu’en est-il de la caution ?
La conséquence pour la caution est la nullité de son propre engagement de cautionnement.
Pour cause : l’acte de cautionnement, qui est accessoire au contrat de prêt, est également entaché de nullité en application de l’article 2289 du Code civil qui dispose que « le cautionnement ne peut exister que sur une obligation valable« .
Si le contrat de prêt n’est pas valable, l’acte de cautionnement ne l’est pas non plus.
Telle est la solution régulièrement rappelée en matière de cautionnement bancaire. (CA Reims, Ch. civ., 23 mai 2017, RG n°15/03152) La banque ne peut donc pas venir vous chercher, vous ne lui devez plus rien.
Lorsqu’elle peut être mise en place cette solution est particulièrement efficace et convaincante. Parfois, un simple courrier circonstancié peut même suffire. (si, si, on l’a vu).En bref, une astuce toute simple pour gagner son procès contre certains établissements bancaires consiste à lire la première page de son contrat de prêt.
Seconde astuce : lisez vos conditions générales !
Dans cette hypothèse, nous nous trouvions face une banque bien rodée et l’acte était difficilement « cassable ». Difficile mais pas impossible, à condition de se munir d’une « loupe ». En effet, la clause des conditions générales était ainsi rédigée:
» Le présent cautionnement est valable pour la durée indiquée ci-dessus, à l’expiration de laquelle je serai délivré de tous engagements envers la banque au titre de la présente caution solidaire, sauf si avant la date d’expiration de la caution, j’ai reçu de la banque une mise en demeure de payer ou une opposition ; dans ce cas, je serai tenu (…)« .
On vous passe la suite…
En matière de cautionnement à durée déterminée de dettes indéfinies (cautionnement omnibus), la règle est que sauf stipulation contraire, la limitation de durée concerne l’obligation de couverture (l’obligation de la caution de couvrir l’ensemble des dettes souscrites durant la durée du cautionnement) et non l’obligation de règlement (l’obligation de la caution de régler les dettes souscrites durant la durée de cautionnement, même si la demande de paiement intervient après l’échéance du cautionnement).
En clair: obligation de règlement veut dire que le créancier peut agir à l’encontre de la caution après l’expiration du délai dès lors que la dette est née avant la fin du cautionnement (obligation de couverture).
Sauf que dans cette hypothèse, la banque avait ajouté une précision inutile à ses conditions générales: « sauf si avant la date d’expiration de la caution, j’ai reçu de la banque une mise en demeure de payer« .
A contrario : à défaut de mise en demeure dans le délai prescrit, la caution doit être libérée de « tous ses engagements« .
Tous ses engagements signifie: obligation de couverture et de règlement. Elle ne doit donc plus rien. Bien sur ce n’est pas ce qu’a voulu dire la banque. Mais c’est probablement ce qu’a compris le dirigeant qui n’a d’ailleurs très certainement pas lu cette clause…
Or, en matière de cautionnement, le dirigeant est considéré peu ou prou comme un consommateur, c’est à dire comme une partie faible.
Juridiquement, l’interprétation à retenir doit donc être celle qui lui est la plus favorable, surtout lorsqu’il s’agit d’un contrat d’adhésion tel qu’un cautionnement bancaire.
Et puis, après tout, bien ou mal rédigé, le contrat reste la loi des parties !
En d’autres termes, faute pour la banque d’avoir adressé une mise en demeure dans le délai prescrit, cette dernière ne pouvait plus rien faire. Notre dirigeant s’est retrouvé allégé d’une lourde dette. On ne va pas vous le cacher: toutes les Cours d’appels ne sont pas d’accord sur cette solution.
Mais la Cour de cassation a validé notre analyse et les juges doivent donc s’y plier, c’est ce qui nous importe.